Dès la fin de 1937 la France se rend compte de l'énorme déséquilibre de ses forces aériennes par rapport à la Luftwaffe. Même si le plan V prévoit théoriquement la fabrication d'environ un millier d'avions de chasse entre avril 38 et avril 39 (MS 406 et MB 150), le nouveau Ministre de l'Air entré en fonction en janvier 38, Guy La Chambre, conscient que l'industrie aéronautique française (récemment nationalisée) ne pourra tenir ses engagements, décide d'importer au moins 300 avions de chasse auprès du seul pays capable de fournir rapidement de tels matériels: les Etats-Unis.

L'U.S. Army Corps ayant très récemment choisi le Curtiss P-36, et l'évaluation de l'appareil étant excellente, malgré une franche opposition du Ministère des Finances Français compte-tenu du prix d'un Curtiss double de celui d'un MS 406 ou Bloch 150, un premier contrat portant sur 100 appareils est signé en mai 38, l'avion étant adopté sous l'appellation Curtiss H75-A1. Les cellules et les hélices sont fournies par Curtiss, les moteurs par Pratt & Whitney (R-1830 SC G de 1050 ch), les mitrailleuses de 7.5 mm par la firme FN-Browning de Belgique (4 mitrailleuses par avion, 2 de capots et 2 de voilure), les instruments de vol, collimateurs et siège sont fournis par des fabricants français. Tous ces éléments sont convoyés vers Bourges, où l'usine de la SNCA du Centre a pour charge de les assembler, ce qui débute en février 39, avec une remarquable efficacité entre la réception des éléments à Bourges et la livraison à l'Armée de l'Air.



 


Chaine de montage à Bourges (à droite: des Potez 631)
 (photo extraite du livre "Curtiss Hawk 75" de Jean Cuny et Gérard Beauchamp. Docavia / Editions Larivière)
 

 

Entre temps la crise de Munich en septembre 38 a montré l'imminence de la menace allemande, aussi un deuxième contrat de fourniture de 100 Curtiss est signé en mars 39, dont la majorité livrée sera des H75-A2, qui se différencient du premier modèle par l'ajout de 2 mitrailleuses de voilure supplémentaires, un moteur légèrement plus puissant et un fuselage arrière renforcé.

Un troisième contrat est conclu en septembre 39 une fois la guerre déclarée, portant sur 530 H75-A3 et A-4, dénominations dûes à des changements de moteurs (ainsi que 100 H-81, appellation du fameux P-40), dont seulement un peu plus d'une centaine seront livrés à l'Armée de l'Air avant l'armistice, dont moins d' une dizaine de H75-A4.

 


L'AVION


MODELES

H 75-A1

H 75-A2

H 75-A3

H 75-A4

Envergure

11.36 m

11.36 m

11.36 m

11.36 m

Longueur

8.79 m

8.79 m

8.79 m

8.79 m

Hauteur

2.70 m

2.70 m

2.70 m

2.70 m

Surface alaire

21.92 m

21.92 m

21.92 m

21.92 m

Poids à vide

2138 Kg

2138 Kg

2138 Kg

2061 Kg

Vitesse à 0 m

410 km/h

415 km/h

415 km/h

421 km/h

Vitesse à 4000 m

490 km/h

500 km/h

500 km/h

520 km/h

Vitesse ascentionnelle

650 m/mn

715 m/mn

715 m/mn

715 m/mn

Plafond

9700 m

10000 m

10000 m

9980 m

Autonomie maxi

1470 km

1470 km

1470 km

1615 km

Motorisation

P&W SCG

P&W SC3G

P&W S1C3G

Wright R1820

Refroidissement

Air

Air

Air

Air

Puissance nominale

900 ch

900 ch

1050 ch

1200 ch

Puissance au décollage

1050 ch

1200 ch

1200 ch

1200 ch

Armement

4 x 7.5 mm

6 x 7.5 mm

6 x 7.5 mm

6 x 7.5 mm




MANUELS DU CURTISS H75



 

- Notice sommaire générale du Curtiss H75 A1: ICI

- Notice de manœuvre du Curtiss H75 A1: ICI





GROUPES DE CHASSES EQUIPES DE CURTISS H75


GC I/4
Groupement 23
base: Wez-Tuizy
 

GC II/4
 Groupement 22
 
base: Xaffévillers
 

GC I/5
 Groupement 23
 
base: Suippes
 

GC II/5
 Groupement 22
 
base: Toul-Croix- de- Metz
 

 

 

 

 

 Spa 95 "Le martinet"

 Spa 160 "Diable rouge"

 Spa 67 "Cigognes"

 Spa 124 "Lafayette"

 

 

 

 

 Spa 153 "Gypaête"

 Spa 155 "Petit poucet"

 Spa 75 "Faucon doré"

 Spa 167 "Cigogne"


Une autre unité, le GC III/2, équipé de MS 406 depuis le début de la guerre, sera transformé sur Curtiss le 1er juin 40, soit quelques jours avant l'armistice.





Pilote en tenue complète de vol
 (photo coll. Service Historique de l'Armée de l'Air)





 
LES PEINTURES ET MARQUAGES


Tous les Curtiss reçurent une peinture en camouflage à trois tons, un gris-bleu, un vert kaki et un rouge-brun appliquée de manière aléatoire comme tout camouflage. Le dessous de l'appareil était quand à lui peint en bleu-ciel, comme la quasi-totalité des avions de cette époque. photo couleur (Collection Taghon, Avions n° 67).

La dérive de l'appareil comme sur tous les appareils de l'Armée de l'air portait les trois couleurs françaises en bandes verticales. Les cocardes tricolores étaient positionnées sur l'intrados et l'extrados des ailes aux extrêmités 3/4, ainsi que de part et d'autre du fuselage en arrière du cockpit. 

 



Sur la dérive se trouvaient les trois marquages principaux de l'appareil:
- le nom du constructeur: Curtiss
- le modèle: H75
- le numéro de fabrication de l'avion

La désignation C1 qui suit le modèle est un code de l'Armée de l'Air, le "C" indiquant un avion de Chasse, le "1" voulant dire de type monoplace.
 

 


 

Même si l'interdiction fût faite aux escadrilles de peindre l'emblême de l'unité sur l'avion de février à avril 1940, les Curtiss ne cessèrent jamais de les porter. Les appareils recevaient l'emblême de leur escadrille, pour certaines sur le fuselage avant juste au premier tiers inférieur du cockpit telle la Spa 155 Petits Poucets, d'autres à l'arrière du fuselage entre la cocarde et les ailerons, telle la Spa 160 Diable Rouge.
A noter qu'après la dissolution du GCII/4 de nombreux pilotes furent reversés dans d'autres escadrilles, et purent conserver leur ancien emblême par respect pour le palmarès du groupe dissous. Ainsi certains avions du GCI/5 par exemples portèrent le Petit Poucet à l'avant du fuselage et la Cigogne à l'arrière.
 


Pour finir les appareils recevaient leur numéro d'affectation au sein de l'unité, généralement sur l'empennage, et plus rarement sur le fuselage en arrière de la cocarde, comme la Spa 155. Ces numéros étaient théoriquement attribués dans un groupe de chasse à 2 escadrilles, la première de 1 à 20, la seconde de 21 à 40, mais les unités avaient adopté des systèmes personnels leur permettant de trier au premier coup d'oeil les appareils de chaque escadrille. Ainsi pour certaines le 1 le 2 et le 3 étaient les avions de la première patrouille, le 3 le 4 et le 5 de la seconde patrouille et ainsi de suite. Le GCII/4 utilisa au départ un système analogue, puis ensuite pour éliminer le risque potentiel d'identification de ses meilleurs pilotes par l'ennemi utilisa un système interne de numéros aberrants, sans aucune relation apparente entre le pilote et l'avion. Pour finir, au cours de la campagne de France il fut décidé de prendre les deux derniers chiffres du numéro de série noté sur la dérive, ainsi l'avion au numéro de série 267 portait comme numéro d'identification le 67.


Une fois l'Armistice signé, et alors que l'Armée de l'Air devait être réduite à la portion congrue,  les évènements de Mers-El-Kébir changèrent la donne, et Vichy put se constituer une force aérienne conséquente hors-métropole, afin d'empêcher les alliés de s'emparer des possessions françaises. Pour éviter tout risque de mauvaise identification d'appareils, les avions de Vichy reçurent l'ordre de faire peindre une large bande blanche dans le sens de la longueur de part et d'autre du fuselage, définie ainsi: cocardes de fuselage de 60 cm de diamètre entourées d'un cercle blanc de 5 cm; posées sur une bande diametrale, horizontale, blanche de 10 cm de large et 1m20 de long, au milieu de cette bande.
Plus tard la largeur de la bande fût portée à 20 cm, tandis que sa longueur fût augmentée pour parfois traverser le fuselage dans son intégralité.


La bande blanche étant insuffisante pour l'identification, vers le milieu de 1941, après la campagne de Syrie, des bandes jaunes et rouges furent peintes horizontalement sur les capots moteurs et empennages de presque tous les avions de Vichy. Le gouvernement prévoyait ensuite de supprimer la bande blanche et la cocarde de fuselage, mais au moment du débarquement des Alliés en Afrique du Nord quasiment seul le GCI/5 avait fait les modifications demandées.
 

 



LES CURTISS H75 FRANCAIS APRES L'ARMISTICE

Comme le GCII/4 et suivant les ordres de l'Etat-Major, tout ce qui pouvait voler et qui avait un pilote pour le piloter avait franchi la Méditerranée avant la date de l'armistice. Ainsi lors d'un recensement sur les avions disponibles à la date du 20 juillet 1940, il reste 231 chasseurs Curtiss, 45 en métropole, et 186 en Afrique du nord, dont 137 en état de vol, les autres étant soit à réparer, soit à réformer (une dizaine).
Une fois la réorganisation réalisée selon les ordres de la commission d'armistice, sur les 5 groupes de chasses équipés de Curtiss H75 seuls les GCI/4, I/5 et II/5 furent maintenus, le III/2 étant dissous le 3 août 1940, et le II/4 le 25 août. Leurs pilotes d'active furent mutés dans les 3 unités précédentes, afin de pallier à la démobilisation des réservistes. Les unités conservèrent leurs Curtiss jusqu'au débarquement des Alliés en Afrique du nord en novembre 1942, sauf le GCII/5 qui avait entrepris sa transformation et reçu ses premiers D520 en août 1942. A cette date il restait 110 Curtiss en état de vol en Afrique. Les Curtiss H75 face aux alliés homologuèrent officiellement 20 victoires, en abattant 8 Martlet, 4 Swordfich, 4 Wellington, 2 Skua, 1 Sunderland et 1 Walrus.




A l'issue de l'opération Torch et du ralliement des unités de l'armée de l'air aux alliés, les groupes abandonnèrent peu à peu les Curtiss fatigués pour les remplacer par des avions modernes américains, le GCII/5 sera équipé dès décembre 1942 de Curtiss P40 (après un bref passage sur D520), le GCI/4 sera équipé de P39 Airacobra, le GCI/5 étant quand à lui équipé de P40 en juillet 43.
Les Curtiss H75 encore en état de vol furent affectés aux écoles de chasse (Meknes, Kasba-Tadla) pour permettre aux pilotes de chasse de débuter leur apprentissage, avant de passer sur avions plus modernes comme les Hurricane ou P40.

A la fin de la guerre la vingtaine de  Curtiss H75 "survivants" furent tous affectés à la Base-Ecole de Cazeaux (Gironde), où ils servirent à la formation des moniteurs, l'entrainement au tir et au bombardement.

Au premier juillet 1949, les Curtiss H75 furent tous retirés du service, et vraisemblablement ferraillés. Aucun exemplaire n'est resté en France, ne serait-ce qu'en statique devant une base ou dans un musée.


* * * * * * *

Tous les Curtiss français n'étaient pas passés en Afrique du Nord lors de la déroute de mai-juin 40, et si nombre d'entre-eux furent détruits au sol volontairement par manque de pilotes pour les convoyer, et d'autres sabotés pour ne pas servir à l'ennemi comme celui de la photo ci-dessous, un petit nombre resta intact.
 



Ainsi au cours de la campagne de France, les Allemands s'emparèrent d'une trentaine de Curtiss en état de vol, dont une dizaine sur le site même de l'usine d'assemblage de Bourges.
Ces appareils furent repeints aux couleurs allemandes, et versés au IIIJG77 (ex II/Tr.Gr.186), qui n'en demandait pas tant...




A la suite de plusieurs incidents, ils furent remplaçés par des BF109, et les Curtiss Français furent versés en 1942 comme appareil d'instruction pour les pilotes débutants, comme ces appareils appartenant vraisemblablement à la JFS4 (Jagdfliegerschule), basée à Fürth, près de Nuremberg.
 
 


 
 

Aucun de ces Curtiss ex Armée de l'Air ne survécut à la guerre.



FIN


Sources:

 - Services Historiques de l'Armée de l'air -
 - Curtiss H75, Jean Cuny et Gérard Beauchamp - Docavia - Editions Larivière -
 - Curtiss Hawk 75, Patrick Marchand et Junko Takamori, Les Ailes de la Gloire N°6 -
- L'aviation de Vichy au combat, Christian Ehrengardt et Christofer Shore, éditions Lavauzelle -

Remerciements:

Ont participé à la création de ces pages  par leur travail de frappe de documents:
DR-Doudou . DR-Dahu . DR-Kpitalist . DR-Jrec . DR-LtMacFly . DR-Louison . DR-Enzo
DR-Colline . DR-Ike69 . DR-Stakhanov . DR-Spharky . DR-Jep . DR-Ker . DR-Corse66.
et bien sûr pour son travail de recherche: DR-Old Chap
 

- GCII/4.com - tous droits réservés sur l'ensemble du site -