" Vous, les mécanos, par votre labeur opiniâtre de chaque jour, labeur obscur et parfois ingrat, nous vous gardons de la reconnaissance au fond de notre coeur."

Lt Girard (Cdt Spa 160), le 25 août 1940 à Meknes.

 

Jean PROTT est né le 13 mars 1920, à Reims. A 15 ans il commence son apprentissage de métallerie et d'ajustage, et une fois de solides bases acquises s'oriente vers les spécialités de l'automobile, tout en suivant dès octobre 1937 les cours de mécanique avion de l'Ecole Technique de la BA 112 de Reims, grâce à son titre d'orphelin-victime de guerre 14/18.
A 19 ans diplôme en poche il s'engage le 3 avril 1939 à la BA 112, et se trouve affecté après ses classes sur les listes de création du GCII/4, à la 3ème escadrille "Diable Rouge".
Promu Maitre Ouvrier d'aéronautique en début de campagne, il participera à l'aventure du GCII/4 jusqu'à sa dissolution au Maroc, le 25 août 1940, alors au grade de sergent mécanicien avion.
Jean PROTT vit aujourd'hui à Reims, il est l'un des rares plus anciens survivants connus en date d'appartenance à l'Escadrille, avec Jean DANLOUP et Jules WAGON (15/05/39). Il représente les Diables à l'escadrille actuelle au sein de l'Escadron de Chasse 02.004 (La Fayette).
Les lignes qui suivent ne sont pas un journal du GCII/4 ou le récit des combats aériens, mais des souvenirs personnels accolés à des évènements souvent importants dans la vie des personnels navigants et non-naviguants de la Spa 160.

 

Affectés le 13 mai 1939 au GCII/4, 3ème escadrille, nous sommes logés dans un baraquement préfabriqué libéré par le 601ème Groupe d'Infanterie de l'Air, parti à Alger. Paradoxalement début juillet arrive sur la base une compagnie du 4ème Régiment de Tirailleurs Tunisiens, qui vient pour monter les gardes du terrain (poste nord, soute à essence, poste bombes, fort de Nogent-l'Abesse).

Les Curtiss H75 arrivent sur la base tout aluminium poli, mais sont peints camouflés au Parc. Nous côtoyons les techniciens américains venus pour la "mise en route".

Courant août, les Rémois (c'est mon cas) font des exercices dits "plan de ramassage". Equipés combat avec arme et masque à gaz, casqués, déposés en camion devant le monument aux morts (symbole?) nous devons à pied ou en vélo personnel réveiller en un temps limité les personnels logeant en ville, et qui seront attendus par les camions au même endroit. J'ai encore en mémoire l'adresse de l'adjudant Sébastien TARROQUE, chef de Hangar,134 BD Saint Marceau...

Le 27 août 39 5H30, dernier exercice, qui est le "bon". A 9H30 l'échelon roulant quitte la base, à destination de notre terrain opérationnel, bref, de temps de guerre.

 

Photo/commentaire: J.Prott: en juillet 1939 arrive sur la base aérienne de Reims une compagnie de tirailleurs tunisiens chargée d’y monter les gardes à la place des Français en prévision de la guerre. Sur le cliché, Jean Prott a revêtu pour la photo la tenue de gala de caporal de tirailleur tunisien du caporal Rabah : plastron et boléro bleu azur avec des broderies jaune souffre, ceinture très large de couleur rouge et saroual plissé bleu roi, bandes molletières bleu marine aviation, chaussures sans clous ; sur la tête, la petite chéchia rouge en feutre.

 

Photo/commentaire: J.Prott: Personnels de la 3ème escadrille SPA 160 « Diable rouge » du Groupe de Chasse II/4 photographiés en mai 1939 sur la Base aérienne 112 de Reims devant les baraquements utilisés alors pour le logement des hommes de troupe et des mécaniciens de cette escadrille. Ces baraquements, situés le long de la voie de chemin de fer à l’endroit de l'actuel parc à réforme, servirent longtemps au logement des parachutistes du 601° Groupement d'Infanterie de l'Air jusqu'à leur départ pour Alger.

Au dernier rang, de gauche à droite : Engrand (qui avait la garde du magasin des pièces d’avions de l’escadrille et qui venait de découper en tôle d’aluminium le diable rouge à peindre sur les « taxis »), Riclynck (chauffeur du capitaine Borne) et Jean Prott (mécanicien). Au milieu, de gauche à droite : Rouelle, Brun (réserviste) et x. Seul, tout à gauche : Vanderluysse (aide-mécanicien de Jules Wagon, mécanicien d’Antoine Casenobe). Au premier plan, de gauche à droite : le caporal Guillaume, le caporal-chef mécanicien Raoul Chamot, Tolland (secrétaire d’escadrille, s’occupant par exemple du journal de marche de l’escadrille, du courrier, du téléphone, etc.) et Paul Plat.

 

L'échelon roulant est arrivé de nuit au village de Xaffevillers (commune du terrain) alors que nous étions attendus à Roville-aux-Chênes à 6 Kms et où nous allons le lendemain. Ici logement dans un ancien couvent désaffecté (paille, carreaux cassés, une pompe à main pour l'eau).
Au terrain, absolument vierge sauf les soutes à essence, des baraquements sont édifiés dès le lendemain par nos soins sous les sapins, qui serviront souvent de montants, les planches clouées dessus. Secret militaire, camouflage, la route depuis Xaffevillers est interdite à tous les civils. Le Poste de Commandement de la 3 est immédiatement installé, grande tente et son équipement: téléphone, bureau, table des cartes, couchette du secrétaire (soldat TOLLAND), vestiaire porte-manteaux pour les pilotes.
Une des premières constructions est bien sûr le bar-popote (sommaire au début), indispensable vu la chaleur de cette fin août et pas d'eau dans la nature.... le gestionnaire s'en trouvera être, par ordre? par vocation? l'adjudant VILLEY. Il en assumera d'ailleurs parfaitement la charge jusqu'à sa mort, de même que la responsabilité des popotes pilotes et mécanique. Le barman est le soldat Francis DAVOUT, Breton dit "le maudit", adjectif qu'il affecte et accole à toute phrase, objet ou personnage. Dévoué et scrupuleux, il n'a pas quitté son poste de toute la campagne, y mangeant et y couchant.

 

Photo/commentaire: J.Prott: Septembre 1939 sur le terrain de Xaffévillers. Travaux visant à la mise sur pied de moyens de défense du terrain peu après le déploiement des escadrilles du Groupe de Chasse II/4. On devine sur la droite une baraque et son camouflage. Sur le cliché, de gauche à droite : Riolacci, le sergent Eiseman, Engrand et le maître-ouvrier Jean Prott. Remarquer à gauche une mitrailleuse Hotchkiss modèle 1913.

 

9 septembre 39: Mort du sgt JEAN, accident au décollage
Je regardais décoller le sergent JEAN, l'avion s'est mis à émettre une grosse fumée noire en arrivant au dessus des arbres, après la soute à essence. La perte de vitesse est la conséquence du feu à bord. Le père de JEAN, colonel, était aux obsèques de son fils à Roville-aux-Chênes.

 

26 septembre 39: Mort du Cne CLAUDE, prise de commandement Lt VINCOTTE
Après la perte du Cne CLAUDE, le Lt Max VINCOTTE nous quitte pour prendre le commandement de la 4, tout le monde le regrette. Je le revois à Reims, en attente de décollage de nuit, qui faisait à la craie sur les armoires du hangar des mathématiques avec le CC CHAMOT.

 

La dureté des conditions de vie
Du fait du terrain détrempé à l'automne 39, il y a longtemps que les chaussures sont hors d'usage. Faute de réapprovisionnement, il a fallu que soient réquisitionnées des chaussures de chasse (!) dans des magasins civils. Plus tard le même procédé sera utilisé pour équiper tout le monde en bottes en caoutchouc, qui dureront jusqu'au printemps et feront parfaitement l'affaire par les grands froids, avec deux paires de chaussettes civiles de la Marraine de l'escadrille ou de nos familles (personnellement je n'ai jamais perçu de chaussettes militaires).

Tous les quinze jours les samedi après-midi, la moitié de l'effectif passe à la douche à la caserne des Chasseurs à Rambervillers, sauf en cas d'alerte, garde ou boulot urgent. Les autres samedis, l'hiver le temps était trop long et le froid trop intense pour dégeler la pompe du couvent. On faisait alors fondre de la neige dans une gamelle pour se raser.
Le poêle était allumé seulement le samedi dans les piaules, car les autres jours, vers 20H00, pas le temps, il faut dormir...

A l'entrée de l'hiver nous avons touché une peau de mouton avec trou au milieu pour passer la tête et cordons à la ceinture de chaque côté. Vu la température c'était pour nous le plus beau des cadeaux. Couchage cadre de bois sur pattes avec grillage, paillasse, sac de couchage toile, trois couvertures (plus veste + capote), fenêtres moitié carreaux moitié cartons. Qu'il était bon l'édredon de chez soi!

Jean Prott en tenue d’hiver de mécanicien. Remarquer sa veste en cuir qui présente la particularité d’être équipée de demi-manches supérieures boutonnées à pression à l’épaule afin de pouvoir le cas échéant être retirées, si des nécessités liées à l’exercice de la mécanique l’imposent (cette veste est dépourvue de manches inférieures).

 

Ordres au sifflet par le Chef de hangar, lapin, corbeau et chien
Du fait d'une relative dispersion dans le bois des différents  lieux (Tente PC, piste, butte de tir, soutes à essence, bar etc...), les impératifs d'urgence aussi bien que les généraux (le rapport, la soupe, la manœuvre des avions au sol...)  étaient donnés par le sifflet du chef de hangar, reconnaissables par la modulation ou le nombre de coups de sifflet. C'était un gain de temps énorme au lieu de courir après les gus à gauche et à droite.

Petit travers de notre respecté chef de hangar Sébastien TARROQUE: la chasse. Après la soupe de midi, pendant le temps de repos, il partait muni d'un fusil de chasse. Tout le monde faisait semblant de sursauter à chaque détonation entendue, mais personne ne le regardait au retour (c'est toujours vexant de revenir bredouille devant 50 hommes et supérieurs).
Un jour le sergent EISEMAN revient de Rambervillers avec un lapin vivant. Dûment attaché pendant le repas par une patte à un buisson dans le champ d'en face, il était invisible. Sébastien, alerté (!) se lève de table, s'avance le fusil braqué, les genoux pliés comme un indien sur le sentier de la guerre. Pan, pan, le lapin foudroyé saute en l'air, l'adjudant fou de joie (première victoire pour un mécano!) lève en l'air le lapin par les oreilles; hélas mouvement limité par la ficelle et ce, devant toute l'escadrille sortie des réfectoires toutes affaires cessantes !!!

Le soir à la tombée de la nuit le caporal-chef CHAMOT, quand il était "en forme", poussait des cris de hibou et les vrais lui répondaient dans les sapins. Il élevait aussi un petit corbeau auquel, une fois grand, il a fait prendre le baptême de l'air dans le coffre d'un curtiss en mission; le pauvre en est mort, de froid ou de peur.

Comme Pratt, l'un des deux chiens mascotte de l'escadrille, qui avait grandi à tel point qu'un jour sa tête fut happée par l'hélice d'un avion au point fixe.

 

Des distractions (quand même!)
A l'occasion des fêtes de fin d'année a lieu à Rambervillers un bal en soirée, à l'intention des aviateurs du II/4, à l'Excelsior, grande salle avec balcon. Tous les personnels qui ne sont pas de garde arrivent en camion, astiqués, parfumés. Le balcon s'emplit de jeunes filles accompagnées de leurs mères (comme il se doit vis à vis des Diables plus ou moins rouges de figure, et de grands Petits Poucets). Les chaises du bas restent vides, les filles boudent-elles? CHAMOT, de guerre lasse, déclenche une partie de saute-mouton entre les hommes.
Entre l'adjudant VILLEY, cuir, bottes de cheval havane, légendaire canne en bois torsadé. "En colonne par un derrière moi!", et il monte l'escalier. A chacun derrière lui il désigne une fille à embarquer en bas de suite. Les mères ne soufflent mot, elles resteront en haut. Et les danses peuvent enfin se succéder normalement.

Des "quartiers libres" existent le samedi soir, à tour de rôle, pour "ligne droite à Ramber". Cinéma ou bal musette le long de la Mortagne. Du fait des militaires et de la présence d'une compagnie de travailleurs espagnols internés des Brigades Internationales (qui eux aussi sortaient), la salle de cette guinguette s'était révélée trop exiguë. Une solution avait été trouvée, le mur de la salle contiguë au café (une ancienne grange très haute de plafond) avait été percé et une sorte de balcon aménagé pour les musiciens, hors d'atteinte.
Cependant la finale étant souvent contestée, deux balles dans le plafond au-dessus de l'orchestre suffisaient à prolonger la soirée....
Principe déjà en application dans le café de Roville, où il arrivait que certains impatients (la soif) tirent une balle dans le panneau au-dessus de la porte du couloir (confirmé 20 ans plus tard devant témoins par les nouveaux tenanciers, qui avaient changé le panneau...).

Autre anecdote, le Cne ROZANOFF qui arrosait ses galons de commandant payait ce soir là la tournée générale, condition: " à la cosaque". Une fois les verres vidés et jetés par-dessus l'épaule, catastrophe, le bistrot n'avait plus de verres!

Un jour à midi, surprise, arrive à déjeuner à la 3, invité par les pilotes, monsieur "CHARLOT" le patron du bordel de Rambervillers. Pantalon à pattes sur des sabots noirs bordés de rouge, veste à grand revers et poches en biais, petite casquette grise. Etait-ce l'uniforme de l'emploi?

 

Responsable du magasin pièces détachées "avions"
Après mon retour de permission vers le 5 janvier 40, je suis gâté par le Chef de hangar qui cherchait, dit-il, un garçon "dévoué et sérieux". Je me vois confier le magasin de pièces détachées avion. Il consiste en un camion Panhard bâché, couloir central avec de chaque côté un meuble à tiroirs pour les pièces. Plancher bois d'origine.
Ces plus qu'ingrates fonctions comportent d'être sur place en permanence, donc de coucher dans le couloir central sur un matelas pneumatique (à dégonfler la journée), avec de dérisoires couvertures, mais à volonté. Et il gèle à moins 30!!!
Ce camion a derrière lui toujours attelée la remorque armurerie pleine d'armes et de munitions, l'ensemble se trouve en bordure de bois à 50 mètres du poste de garde. Les premières nuits sont mortelles, froid et grattage permanent sur la bâche des souris qui cherchent dans la neige les graines de pommes de pin. Aucun chauffage bien sûr, et une lampe tempête à pétrole (quand il y en a).
Heureusement d'autres dispositions me libèrent de cela après plus d'un mois, et par la suite au retour du Groupe du repos à Marignane, il y aura un baraquement (fait par le groupe I/2), un lit et un feu plus loin sous le bois, pour ENGRAND, mon successeur.
 


Photo/commentaire: J.Prott:
Jean Prott de l’escadrille SPA 160 « Diable rouge » du Groupe de Chasse II/4 photographié sur le terrain de Xaffévillers pendant l’hiver de 1939-1940. Derrière lui : un véhicule Citroën de 1200 kilogrammes équipé par Tecalémit en insufflateur d'air chaud servant au déglaçage des avions. Remarquer la peau de mouton qui fut distribuée aux personnels de l’escadrille en raison de la rigueur de l’hiver (il gela jusqu'à -34°C sur ce terrain pendant cet hiver).

 

Février/Mars 40: Marignane
Le 22 février 40 j'apprend après une bronchite épouvantable le départ au soleil pour le lendemain. A 6H30 je suis au rassemblement sur la place et annonce au chef de hangar que je suis sortant (de l'infirmerie, au couvent à Roville; jamais vu d'ailleurs le toubib mais seulement le réserviste infirmier, metteur au point chez Hispano).Je ne tiens pas sur mes jambes, mais d'autorité je prépare et charge sur le train en gare de Rambervilliers le véhicule insuflateur d'air chaud que j'avais en compte.
Dans la matinée le toubib téléphone au PC au chef de hangar pour lui dire que je me suis enfui de l'infirmerie. Explications, je déclare que pour les soins le toubib est à recycler et que puisque nous partons au soleil, je ne veux pas rester ici à crever dans la neige. Sébastien TARROQUE, paternel, admet mes raisons.
Je n'ai pas pu manger pendant les 24 heures du voyage, malgré les sollicitations des copains. En arrivant le 24 au soir à Marignane, le vent est doux et je ne tousse plus. D'autant plus que 8 jours après je pars en perme. J'ai déjà eu Noel et le Jour de l'An, la veine!
Tout le personnel aura 10 jours de perme par roulement. Et trois jours de repos sans alcool (dont un de diète) pour vaccins multiples. Est cependant resté à Xaffevillers en liaison avec le groupe I/2 (Morane 406) qui nous remplace là-bas le sergent-mécanicien d'équipement SAVOYE de la 3, originaire de Sétif. On le retrouvera un bon mois plus tard, toujours dans la neige. Il n'a eu ni soleil ni perme.

Pour nous c'est le paradis avec "lignes droites" à Marignane. L'arrivée des avions à Marignane a été cause d'émotions. Le moteur de l'adjudant PAULHAN se grippe au-dessus de l'étang de Berre. Train sorti et volets ouverts pour atterrir il passe juste au-dessus des hangars d'Air France. Examen, enquête technique: graissage insuffisant, filtre à huile mal monté. Le mécano, DE LA CHENARDIERE, au trou, carrière compromise. Consternation générale, un garçon si sérieux et qui a l'habitude.
La lumière se fait au bout de 2 jours. A la date de la dernière révision "Bébé" était en perme et remplacé par un sergent (dont je tairais le nom) qui n'avait pas d'avion d'ordinaire, et déjà ancien, avait été breveté sur je ne sais quoi. Confondu, il avoue.

A Marignane, chacun a pu suivre les essais en vol d'un prototype LIORE et OLIVIER, le LEO 100, surnommé "la limande" du fait de sa silhouette de profil: fuselage légèrement courbe, nez baissé. Une béquille à l'avant, deux roues à l'arrière carénées en bas des deux empennages verticaux. Il a explosé en vol devant les collines roses à droite de l'étang de Berre.

 


Photo/commentaire: J.Prott: Groupe de mécaniciens photographiés à Marignane pendant le mois de repos dont bénéficie le personnel du Groupe de Chasse II/4 fin février 1940. Au milieu : Jean Prott (béret à gauche). Remarquer le diable rouge peint sur le fuselage du Curtiss H 75.

  

Avril 40: Retour à Xaffevillers
Le 5 avril 40, l'échelon roulant, mis sur wagons la veille à Pas-des-Lanciers, est débarqué et nous logeons à Varangéville, près de Nancy, sur de la paille, dans des écuries qui viennent d'être désinfectées au grésil. Intenable: on couche dehors dans les véhicules. La nuit quelques gus avec DEFOFFE et son camion Matford foncent à Roville. Le village est décoré, on nous attend. Les gens diront avoir entendu à la radio allemande de Stutgart que nous revenions, alors que maintenant nous logeons à Saint Pierremont.
Sur le terrain de Xaffevillers les MS 406 du GCI/2 n'avaient pas été à la fête, ils ne pouvaient pas décoller, à cause du froid les moteurs refusaient de partir, et le terrain n'aimait pas les béquilles (au lieu des roulettes de queue). Pourtant le II/4 est accusé d'avoir "intrigué" pour reprendre la place à Xaffevillers, alors qu'il était flagrant qu'en dehors des hommes, avec des 406 sur un tel terrain et dans de telles conditions climatiques, il n'était pas possible de faire le travail des Curtiss.

 

10 mai 40: Attaque du terrain
L'équipe d'alerte des Diables, pilotes et mécanos, part de St Pierremont à 4 heures du matin avec le Matford "spécial" que je conduis. Il commence à faire jour, arrivée et débarquement devant la 3. Ronronnements d'avions au-dessus. On distingue nettement un Do17, puis débute un sifflement qui devient de plus en plus strident. Le sergent Dietrich crie "c'est des bombes!"
Tout le monde saute dans un talus du champ en face en contrebas. Chose curieuse, le sifflement est devenu presque inaudible et nous n'avons pas perçu les éclatements. J'ai vu le bombé de la route rayé par les éclats qui ont dû passer entre nos têtes qui dépassaient. Le silence revenu nous entrons dans le chemin d'accès alors que grêlent, dans les arbres et autour de nous, des éclats, des branches etc...

Nous découvrons "le Maudit" et CAVET qui dormaient au terrain, en pantalon, chemise et casque, dans une tranchée-abri, inondés jusqu'au cou. Alors qu'ils en sortent, des appels et gémissements nous parviennent de la piaule des cuistots. CAPMARTY n'a pas jugé bon de se lever, et il a le pied fracassé dans son lit. Je fais demi-tour avec le camion pour foncer au Groupe chercher l'ambulance. 50 mètres plus loin le Commandant BORNE arrive à pieds. Je stoppe et lui rend compte, il me dit alors:"emmène le avec ton véhicule à Roville".
Je recule, et avec les deux rescapés ruisselants (les autres sont aux avions), nous essayons de sortir le lit en bois et le blessé, car pas de brancard. La porte est trop étroite. Je décloue les planches de la baraque à coups de hache et j'emmène le lit complet, accompagné des 2 "éponges" qui assistent leur copain.

Les braves faisant fonction d'infirmiers s'affairent aussitôt mais j'aime mieux ne pas dire quelles mesures ont dû être employées pour faire lever l'aspirant-toubib, soit disant grippé.

CAPMARTY a dû être amputé. Libéré par l'âge d'obligations militaires, il avait accepté de faire 15 jours de "rab" pour permettre à HULIN d'aller en permission.

 


Photo/commentaire: J.Prott:
Reste d’un Curtiss H 75 détruit lors du mitraillage subi par le terrain de Xaffévillers le 12 mai 1940, dimanche de la Pentecôte. Ce terrain, déjà bombardé le 10 mai 1940, fut en effet mitraillé le 12 mai par des Messerschmitt Bf-109. Bilan : un mort et cinq blessés parmi le personnel des deux escadrilles du Groupe de Chasse II/4, tous mécaniciens. L’escadrille SPA 160 « Diable rouge » perdit ce jour-là deux Curtiss H 75.

  

12 mai 40: Nouvelle attaque du terrain, départ pour Orconte
Je me trouve près du Panhard-magasin avec mon aide RIOLACCI lorsque le mitraillage commence. Plongeon dans le fossé en bordure du bois. Les 109 visent un "taxi" à la butte de tir. Le sergent BONNEAU est debout sur un plan, il prend une giclée dans les jambes et tombe à terre. Sous le feu le soldat VASSEUR (de Marle-Les-Mines) se lève, sort du bois et va chercher BONNEAU dans ses bras. La minute suivante, l'avion brûle avec ses pleins d'essence: il y aura dans l'herbe des coulées d'aluminium fondu de 3 cm d'épaisseur sur 30 de large.
Pour cet acte de courage VASSEUR recevra la Croix de Guerre qui lui sera remise le 14 juillet 40 à Rabat par le Général Joseph VUILLEMIN, Inspecteur Général de l'Armée de l'Air.

Il y avait un "taxi" enlisé à peu de distance, en face de la tente PC. Au début du mitraillage, le soldat BEFFARA se cache dessous. Aussitôt le premier passage, il fonce et plonge sur un pilote dans le fossé de la tente. Bien lui en prend, car au deuxième passage l'avion prend feu.

A la 4, hormis le sergent VINAY, tué, et les blessés, un mécano ne pourra pas dormir la nuit suivante. Le toubib lui retirera des dizaines d'éclats minuscules de la peau du dos, qui avaient traversé son cuir.

Le sergent DANLOUP, blessé au bras, est évacué. Il ne pourra pas rejoindre, il sera requis pour commander des fantassins Belges en combat rapproché et sera prisonnier 5 ans.

Le 13 mai de nuit, l'échelon roulant quitte notre terrain pour Orconte (51), tous feux éteints.
A ce nouveau terrain la 3 est dispersée le long d'un chemin longeant la Marne, à gauche d'un pont à la sortie d'Hauteville ou nous logeons dans des greniers. Un D520 en panne est resté près des baraquements, il sera repris plus tard. Peu d'arbres, camouflage symbolique. Dans le patelin, vision inattendue, des "gus" militaires au repos, en tenue non plus kaki mais rousse, de même que leur peau, cheveux et poils, résultat d'un emploi en poudrerie!

  

28 mai 40: Obsèques de DIETRICH et VILLEY
Au retour des obsèques de l'adjudant VILLEY et du sergent DIETRICH tués le 25 en combat aérien, selon la coutume, les parachutes des deux pilotes ont été brûlés au milieu de tout le personnel, les larmes aux yeux, et après une courte allocution, difficile à sortir, du capitaine GUIEU. J'ai pu récupérer dans les cendres la poignée de déclenchement du parachute du sergent DIETRICH. Je l'ai toujours conservée.

 

7 juin 40: Disparition du capitaine GUIEU
Pendant l'attente, qui s'allongeait, du retour du Cne GUIEU (comme d'ailleurs lors de chaque cas semblable), une angoisse de ne plus revoir notre chef nous gagnait. Et après l'évidence, c'était tragique, suivant de peu VILLEY et DIETRICH. Le silence, plus de plaisanteries, plus d'appétit, chacun ressassant sa peine et sa rage.

L'avion dans lequel se trouvait le capitaine n'avait pas percuté le sol mais touché à plat ventre près de Mortefontaine (02) dans l'étang de la ferme de Vaubéron, propriété de monsieur Guy FERTE, aujourd'hui décédé. Celui-ci avait remis à la famille le porte-feuille du capitaine, son pistolet, son insigne de la Spa 160, la plaque d'identification de l'avion et une pale d'hélice. Des années plus tard lors d'une réunion d'anciens Diables Rouges à la BA 116 à Luxeuil, le colonel Max VINCOTTE m'annonce le décès du fils du capitaine GUIEU, célibataire, dans l'appartement duquel se trouve la pale d'hélice. Je lui suggère de confier la pale à la salle d'Honneur de la 3ème Escadrille (Diable Rouge) de l'escadron 02/004 Lafayette. Après l'accord de la famille, Max VINCOTTE me charge d'organiser la remise de la pale. La belle-soeur du capitaine remet la pale à une délégation composée des Officiers Traditions du 02/004 ainsi que trois sous-officiers. La pale n'est pas abîmée n'ayant touché que l'eau, mais a un cran au bord de fuite causé par une balle de mitrailleuse de capot (comme cela arrive à moins de 1500 T/mn).

Par la suite la famille m'a remis à titre personnel la plaque d'identification de l'avion N°213, ainsi que l'insigne du capitaine qu'il portait sur lui, des photos et documents. Egalement pour le Musée d'Aviation de Vraux (51) dont je m'occupe, la tenue du capitaine (qu'il ne portait pas en vol), ainsi que sa tenue de l'école de Saint-Cyr en 1933. Elles figurent en bonne place dans la vitrine souvenir du II/4 au musée.

Le capitaine GUIEU soulignait la reconnaissance et la considération des pilotes envers "la mécanique", j'ajoute que pour celle-ci, les pilotes étaient non seulement souvent des supérieurs, mais des Dieux, et tous avaient les larmes aux yeux lorsque l'un d'eux était descendu.

 

12 juin 40: Départ d'Orconte pour Pouan-Les-Vallées (10)
L'instituteur, en pleins préparatifs d'évacuation, veut que je mange chez lui, mais je n'ai pas le temps, je n'accepte qu'un verre. J'ai la responsabilité des cantines des Officiers et Pilotes de la 3, présents, hospitalisés ou hélas, morts. J'ai déjà eu à re-expédier aux familles en gare de Saint-Dizier plusieurs cantines. J'utilise le 2T5 Matford N° 4765, avec pour compagnons le sergent Jules NOEL et le soldat BUSQUET. Ce dernier occupe un emplacement au niveau du hayon AR.

(Cet équipage ira jusqu'à Meknès après toutes sortes de tribulations; ravitaillement en essence sur des avions abandonnés; pour l'estomac, ravitaillement plus qu'incertain et à nos frais (dans une ville traversée il a fallu sortir nos armes pour pouvoir acheter du pain. L'armistice était demandé, donc les militaires avaient perdu la guerre... en sortant de la boutique des réfugiés qui faisaient la queue voulaient nous donner de leur pain, eux "ils savaient". Lors d'une halte, nous découvrons BUSQUET les mains et le visage griffés. Des évacués lui avaient lancé un chat. Heureusement il avait réussi à le rejeter dans un cabriolet qui passait).
Ces avatars se situent plus tard, après Nevers.

 


Photo/commentaire: J.Prott:
Véhicule Matford immatriculé 4765 photographié en 1940 sur le terrain de Xaffévillers. Devant le véhicule : Deloffe et Gobillot, chauffeurs réservistes et, à droite, le maître ouvrier Jean Prott, appartenant tous à l’escadrille SPA 160 « Diable rouge ». Noter que les véhicules portaient l’insigne d’escadrille sur les deux portières.

 

13 juin 40: Départ de Pouan-Les-Vallées pour Auxerre/Monéteau (89)
Il a fallu près de Troyes, après un bombardement, mettre de côté les cadavres des civils, pour passer les véhicules. J'ai la chance de rencontrer mon frère qui, réformé temporaire, a été repêché comme auxiliaire dans un bureau au 83ème Dépôt d'Infanterie à Auxerre. Le Matford, avec insignes sur les portières et trous d'éclats de bombes fait sensation. Tout comme moi, en espadrilles, chemisette civile, veste de chasseur à pied, sans ceinturon et casquette sans jonc de coiffe. Le sergent de garde à l'entrée ne voulait pas m'écouter dans cet état, il a fallu s'imposer! (nota: durant la Campagne, les jeunes qui se développaient (plus l'épaisseur des pull-over) n'ont pu obtenir que des vestes de....chasseurs à pieds.)
A la suite, ces "biffins" de l'arrière déchantaient en voyant arriver, sitôt après moi, des camions bennes civils plein d'armes récupérées en vrac, et couvertes de soldats Belges...
J'avais quand même pu voir mon frère, superbement équipé (bandes molletières etc...). Il est parti le lendemain avec tout le personnel du dépôt, à pieds (les camions neufs étaient pour les archives), jusqu'à Saint Amadou dans les Pyrénées, pour y être démobilisé.
14 juin 40: Départ d'Auxerre/Monéteau pour Nevers/Fourchambaut (58), pour escale.

 

15 juin 40: Dun-sur-Auron (18)
Les fous de l'asile local, dans la panique, ont été lâchés dans la nature et circulent avec des allures qui leurs sont propres. Pour les imiter, nous fumons des cigarettes par l'intermédiaire de tuyaux de caoutchouc rouge (qui servent à siphonner l'essence dans les fûts), et qui ressortent par une boutonnière à la ceinture. A cette extrémité est la cigarette. Les civils en restent songeurs! l'un de nous va jusqu'à pomper le demi d'un civil attablé à une terrasse, occupé à écrire une carte postale.

 

16 juin 40: Disparition du commandant BORNE
Nouveau deuil. Cette fois, c'est notre "patron" depuis le début, le Commandant BORNE. Quelle tristesse!!! Mission vouée à l'échec, ordonnée par des gens qui envoient un pilote et un avion seul espionner des "panzers", comme on envoie le planton chercher des cigarettes.

 

17 au 25 juin 40: Départ pour Marseille par véhicules isolés (comme depuis le 12 juin), et traversée vers l'Afrique (armistice demandé le 16 juin et signé le 24).
J'avais à bord 3 fûts de 50L vides. Nous les remplissons d'essence provenant des réservoirs de plan d'un gros avion en panne, à l'aide d'un casque percé à la pioche comme entonnoir.
Au soir arrivée à Marseille, véhicules et personnels au camp Sainte-Marthe. Le lendemain, port de commerce, pagaïe grand format. Surveillance absolue de tous et de tout, au milieu de toutes sortes de gens, civils, militaires, dockers....beaucoup de pillage dans les docks. Pourtant on verra le lendemain, sous des camions militaires embarqués par des grues, des caisses de cognac accrochées!!!

Le cargo qui nous reçoit embarque à fond de cale comme lest des lingots d'étain recouverts d'énormes balles de coton puis d'un lit de véhicules. Idem pour la cale supérieure. Dans l'entrepont des véhicules et des hommes (environ 1300). Sur le pont, couvert de véhicules non arrimés, pare-chocs à pare-chocs, ceux qui comme moi préfèrent voir venir de loin, bref, tout le personnel du II/4 au sol. Le 21 au soir le convoi se forme en rade: 16 cargos et le paquebot "Platon" qui emmène....des personnels des services du port de Marseille...
Avant la tombée de la nuit, les bombardiers Italiens arrivent pour nous arroser (j'ai immédiatement pensé aux vautours). Sur chaque navire se trouve une demi-douzaine de marins de la Royale servant les jumelages anti-aériens. Feu d'enfer sur les bombardiers qui lâchent leurs bombes sur l'Estaque et Marseille. Ces sont les civils qui ont pris. Moi-même j'étais prêt à plonger et rejoindre la côte, mais tous ceux qui ne savaient pas nager étaient pâles. Tous pensaient aux sous-marins Allemands et Italiens...car bien sûr pas de barques ni de bouées!
Le chef cuisinier Chinois du bord avait mis costume noir et cravate, et sur la passerelle, attendait la mort.

Le convoi est parti de nuit, escorté parait-il par un ou deux torpilleurs. Trois navires de front, espacés d'un kilomètre. Devant les fumées de 3 autres, derrière également 3 fumées.
Soleil mais jus infect, repas: quelques cuillerées de riz mélangés d'un peu de "singe", pas de pain, mais de gros biscuits de mer ronds à casser et à sucer. Peu ou rien à boire, les réservoirs d'eau douce sont rouillés à l'intérieur, et l'eau itou. Les Rémois retrouvent l'Officier Mécanicien de bord qui est lui aussi de Reims.
Les hommes sont nerveux et grognent, surtout les réservistes: pour eux avec l'armistice c'est fini, ils auraient voulu rentrer chez eux.

Nos pilotes en train de traverser aux commandes de leurs Curtiss ont vu le convoi mais inversement, nous pas.

Le 25 au soir, arrivée à Oran à quai. Interdit de débarquer. PEDROSA de la 4 se laisse glisser le long d'une aussière. Il ne déserte pas, il est pied-noir, alors il arrivera avant nous à Alger.

Le lendemain appareillage pour Alger, Oran étant déclarée ville ouverte.

27 juin débarquement à Alger d'hommes assoiffés et que voit-on sur les quais? des montagnes de fûts de vin! aussi les intoxiqués "en manque" débarquent-ils avec chignoles et forêts de 6 mm. Les véhicules seront débarqués le lendemain. En attendant dépôt des Isolés Métropolitains (D.I.M.) Logement en sous-sol humide, une natte par terre ou grouille les cafards.

Incident violent entre l'adjudant-chef TARROQUE et le sergent DECKER, qui est en rage permanente, ses biens, sa famille, sont en territoire maintenant Allemand. La France est selon lui responsable.
Il n'y aura pas de suites, tout le monde comprend la peine de l'Alsacien.

 


Photo Caluzio: personnels du II/4 lors de la traversée sur le cargo Cdt Dorise, lancé à Dunkerque en 1914, qui coulera de vétusté en méditerranée en 1942.

 

Juillet 40: Meknès
1er juillet 40, embarquement des véhicules et des hommes sur des wagons plate-forme, direction Meknès (les réservistes re-grincent des dents). Vitesse entre 20 et 40 à l'heure. A Siddi-Bel-Abbès rien de prévu comme repas pour des "métros" qui ont perdu la guerre! Voir à Tlemcem, où le train s'arrête à l'aube. Poste de Légion en gare, réponse en tous points négative. Un officier (le Lt GUILLOU je crois me rappeler) prend 4 volontaires et part en ville acheter de sa poche du pain et quelques bricoles.
 

Arrivée à Meknès, dans la superbe caserne du 21ème Zouave. Lits, douche, bouffe "super", vin glacé: le Paradis! mais seulement 2 jours. Ensuite direction la BA 207, piaules pour certains, paillasses dans les hangars pour d'autres. Un jour le soldat ROLLAND de la 4 trouve sous sa paillasse un serpent de 1m10 qui dormait. Plus tard à l'autre bout du hangar on trouve une Croix de Guerre avec laquelle jouaient les souris après avoir grignoté l'écrin.

Les soldats réservistes voudraient être démobilisés. Pour eux la guerre est finie et cet état d'esprit prendra racine les mois qui suivent avec la démobilisation successive des rappelés, des appelés classe par classe, et même des engagés entre "telle date et telle date".

Plus de vols, plus de travail, on démonte les radios et armes sur les "taxis" que l'on remorque ensuite au "cimetière" le long de la route Boufkrane-El-Hajeb (Dewoitine 500, avions civils divers, entre autres un petit Caproni tout neuf)

Photo/commentaire: Jean Prott le 4 juillet 1940 sur la terrasse du 21ème Zouave à Meknès. Nouvelle veste (cette fois Armée de l'Air), mais galons non cousus, et en...espadrilles.

 

Le 3 juillet 40, catastrophe! Mers-el-Kébir, désastre de la flotte française, conséquences incalculables pour la suite de la guerre en matériel et surtout en hommes, à cause du moral. Le 6 juillet a lieu une deuxième attaque du site, cette fois aérienne, qui fera 150 morts.
 

Le 12 mise au point des tenues, coupe de cheveux, équipements, car demain on part à Rabat avec le drapeau de l'Escadre et sa garde pour la prise d'armes du 14 juillet, avec la remise des décorations, dont celle de VASSEUR. Les pilotes sont partis en avion, nous avec le Matford 4808 conduit par PHILIPPOT.

Je fais partie de la garde au Drapeau, avec le Capitaine DE DURAT porte-drapeau, l'adjudant-chef TARROQUE, l'adjudant-chef METZ, le sergent BARTHELEMY et le soldat PHILIPPOT. Longue attente en plein soleil sur la piste en ciment. L'adjudant-chef TARROQUE, devant moi, devient violet et me dit en roulant les "r": "PRRRRROTT, on va crrrrrrrever". Heureusement le général VUILLEMIN arrive dans un Goeland qui s'arrête très près derrière la troupe présentant les armes. Le pilote coupe ses moteurs mais l'un prend feu sur un retour. Panique chez les soldats devant.

Fin juillet des affectations provisoires sont réparties. Par instructions de Vichy les officiers et sous-officiers d'origine Juive ou Francs-maçons sont suspendus.

Je suis détaché comme Chef de Garage de la BA 207, qui compte une trentaine d'hommes, la plupart conducteurs, dont BEFFARA et PHILIPPOT de chez nous. Véhicules de transport en tous genres, semi-remorques, voitures d'Etat-Major, de liaison, ambulances.

Certains jours les 3 semi-remorques (deux Ford et un Fargo) font la navette avec le "Km10" pour approvisionner en bombes des bombardiers (de Meknès, Tafaraoui, La Sénia) LEO 45, Douglas, Glenn Martin, qui allaient bombarder Gibraltar vraissemblablement en représailles. Un jour une bombe (non amorcée) est tombée du camion, en ville, avec le soldat Marocain assis dessus. Une autre fois BEFFARA avec le semi Fargo est tombé en panne d'essence en travers des voies ferrées. (heureusement il n'y avait que deux trains par jour).

Cette affectation comme Chef de Garage était un mauvais coup à ma destinée, mais j'avais demandé à faire quelque chose. Quelle erreur!

 

Aout 40: La punition, l'accident, la Légion
Le 28 août 40 (le GCII/4 est dissous depuis le 25 mais je ne le sais pas, étant détaché à la BA 207) un Glenn Martin se crashe au décollage et percute la gare du Génie au bout de la piste. Le Médecin-chef jaillit de l'infirmerie (en face du Garage) et réclame une ambulance. Seul avec PHILIPPOT nous en démarrons une et partons sur les lieux de l'accident. Revenus au bureau le téléphone sonne: le Commandant de la base n'a pu avoir de voiture pour aller sur les lieux, puisque le téléphone du Garage ne répondait pas, et pour cause! vers 18H00 le commandant de la base arrive à pieds suivi d'une cohorte de lèche-bottes et me colle immédiatement au trou pour un mois!
Ce commandant s'appelait X, 10 jours après il était interné en asile. Sincèrement je m'en suis réjoui quand je l'ai appris. Heureusement le commandant HIGEL, adjoint, (qui conservait d'une blessure grave un trou au milieu du front) a annulé la punition le lendemain, après une nuit blanche avec les taulards, et des sévères! la nuit même arrivée d'une femme qui venait de tuer, à coups de revolver, un sous-lieutenant dans sa chambre.

Ordre de préparer tous les véhicule pour départ le 31 août pour Casablanca, au stockage. Je suis fatigué, et en rage pour ma nuit passée en prison. Je voulais conduire le Matford 4765 que j'avais ramené de France, mais c'est un officier inconnu qui le conduit, responsable du convoi (alors qu'il n'a pas le permis PL); je prends alors le fameux Panhard-Magasin de la 3. A 7H30, après arrêt casse-croûte à Khemisset, à la sortie du village dans la ligne droite je perds connaissance. Le cinquième arbre est le bon.

A 10H00 je reprend connaissance sur le sommaire billard du médecin de Khemisset, inondé de sang. Le toubib est en tournée... enfin il revient, remet en place le cuir chevelu retrouvé quelque part, pansement sommaire et en route dans la cabine (un comble!) du Matford 4765 pour l'hôpital de Rabat. Arrivée à 14H00, à 18H00 toujours pas vu un toubib: je fais un scandale, mais...ils sont partis!
Reste un aspirant qui hésite et ne veut pas suturer la plaie sous l'oeil droit, il a peur de toucher l'oeil. Devant mon insistance, il se décide et recoud également tout le cuir chevelu, évidemment sans anesthésie, et avec une grande aiguille courbe comme celles qui servent à réparer les voiles.

Huit jours après, unique et première visite médicale. Puis Bureau Sortant, je suis affecté à.... la 2ème Cie du 1er Bataillon du 2ème Régiment Etranger, à Salé (la Légion!), par Ordre Général du général NOGUES (Résident Général au Maroc) pour ceux qui sortaient de l'hôpital militaire. Je suis désemparé. De plus, sans cheveux, j'ai l'air d'un évadé du bagne. Traversant Rabat à pieds j'aperçois sur la plate-forme d'un bus le Cne ENGLER. Surpris je n'ai pas le réflexe de l'appeler. Il aurait sûrement pu me faire affecter en escadre.

A la Légion je suis bien reçu, habillé de neuf, gradé caporal à titre temporaire. Arrivent là des hommes de la 13ème DBLE et des Chasseurs Alpins revenant de Narwick par l'Angleterre. Et aussi des matelots de la Royale, faits prisonniers par les Anglais sur leurs bâtiments en Angleterre, internés à terre puis refoulés vers Casablanca sur un vieux bateau pourri. Ils ont une "certaine opinion" de la valeur des alliances internationales.

Plus tard lors d'une séance gratuite de cinéma pour la Légion à Salé, je tombe sur PHILIPPOT en civil. Il a été démobilisé et travaille à Air Maroc. Il me cherchait, et m'apporte une lettre d'une jeune fille rencontrée à Alger qui m'offre l'adresse de ses parents pour me faire démobiliser là-bas. Elle a un nom de circonstances: Andrée LAGUERRE.

Le lendemain je refuse mon engagement à la Légion, et retourne à la BA 207, où j'étais compté comme mort, au retour de l'épave du Panhard. Restitution de toutes mes affaires, celles personnelles ayant été gardées par les Rémois pour donner à ma famille. Le Garage a été repris par un sergent-chef du service général assisté d'un caporal-chef sous le lit duquel je retrouve mes (belles) chaussures à l'intérieur desquelles j'avais écrit: "volées à PROTT".

 

LA FIN
Ce jour-là la désillusion est immense, j'apprend que mon groupe, mon GCII/4 est dissous, je ne l'avais pas su, de même qu'au Garage personne n'avait été informé de la Prise d'Arme du 25 août.

J'en ai pleuré.

  

  

Post-scriptum
Il y aurait beaucoup à dire sur les différentes fonctions que j'ai exercées ensuite, mais celà n'a plus qu'un intérêt particulier ni le même intérêt vis à vis de l'épopée de 39/40 et des faits et esprits de l'époque.
C'est dans ce sens que j'ai peut-être un peu trop parlé de mon cas personnel en cette fin de texte, je m'en excuse.
Il y avait de quoi décourager plus d'un jeune faute d'informations, de dialogue et d'encouragements. Mais pour nous DE GAULLE, qui était-ce? mes amis Tchèques ou Polonais avaient eux des raisons. Pour moi, les Anglais, "se méfier". Que de lacunes!
La vie sur une base en "sommeil" n'est plus celle d'une escadrille. Et puis surtout sans nouvelles de la famille survivante ou pas, aucun courrier de la zone occupée....

 

Archives:
 

Photo1:
Monsieur Jean Prott et le général Frantisek Perina photographiés le 28 septembre 2000 au Berghotel de Friedrichroda où se déroule alors l’Internationale Gross Treffen der Gemeinschaft der Jagd Flieger. Jean Prott de la délégation française et le général Frantisek Perina, retrouvé à cette occasion, chef de la délégation tchécoslovaque. En 1939-1940, le lieutenant Perina, volontaire tchèque, qui était affecté à la première escadrille du Groupe de Chasse I/5, était le fidèle équipier du capitaine Jean Accart qu’il protégeait en combats aériens. Il totalisait 13 victoires pendant cette campagne.
 

Photo2:
Monsieur Jean Prott et Cyrille Kilanowski (DR-Hérétic), webmaster du site GCII/4, au spotter-day de la BA 112 de Reims à l'été 2004. (Photo DR-Jrec)
 

Photo3:
Monsieur Jean Prott et Cyrille Kilanowski au travail, sous l'oeil de DR-Ike 69, au spotter-day de la BA 112 de Reims à l'été 2004.(Photo DR-Jrec)
 

Document 1:
La complainte des mécaniciens du GCII/4 (archives S.H.A.A.)
Auteur: adjudant-chef Ravier, commandant les Moyens Généraux du Groupe. Composée et signée à Meknes le 7 septembre 1940, soit 12 jours après la dissolution des deux escadrilles.